Natacha Cyrulnik : Berthe, son héroïne pendant dix ans
Photo : Dominique Leriche
En bas des tours du Germinal, où Natacha Cyrulnik a passé beaucoup de temps à filmer. Trois de ses films seront d'ailleurs projetés à l'association Gaspar le 21 octobre.
Dans la cité Berthe, Natacha Cyrulnik n'a pas de nom. On l'appelle « Natacha » ou parfois « Natacha St-Pier » comme la chanteuse québécoise. Ici, personne ne sait vraiment qu'elle est la fille d'un éminent psychiatre et de l'adjointe à la Culture de La Seyne.
C'est juste une grande brune de 42 ans qui se balade caméra à la main au hasard des rues de la cité.
Elle vient à Berthe comme au travail. N'a jamais voulu vivre à La Seyne et n'y a habité que deux ans, quand ses parents s'y sont installés en 1982. Après ses études d'architecture et de scénographie à Paris, elle emménage à Marseille. Intermittente du spectacle, elle veut devenir auteur, faire ses propres films.
« Comprendre comment les gens vivent »
« J'ai monté mon association, La Compagnie des Embruns, basée à La Seyne. Je voulais travailler sur les formes d'urbanisation », confie-t-elle.
Justement, le projet « Un été au ciné » lancé par le Centre national du cinéma, « envoie de jeunes réalisateurs dans les quartiers chauds ». Natacha accepte d'aller à Berthe, deux ans après les violences urbaines de 1997.
« La première année, quand je suis arrivée avec ma caméra, enceinte de 7 mois, des gamins sont venus me demander si je n'avais pas peur qu'on me la tire. J'ai répondu que celui qui me volerait ma caméra ne saurait pas faire de film pour autant. Par contre, s'il voulait, on pouvait faire le film ensemble », raconte-t-elle.
Natacha a toujours été partout « regarder et comprendre comment les gens vivent ». Elle dit qu'elle a été très bien accueillie, même si parfois, l'atmosphère pesante du béton lui donnait envie de courir s'aérer dans son jardin.
« Qu'est-ce que tu filmes ? Tu viens au zoo ! »
Au fil des ans, les habitants de la cité se sont habitués à la voir déambuler pour faire ses documentaires. La curiosité provoquait les rencontres. « Qu'est-ce que tu filmes ? Tu viens au zoo ! », lui a-t-on souvent demandé. « Ici, les gens se sentent comme des chiens ou comme des êtres humains sur une autre planète. Personne ne prend la peine de s'intéresser à eux alors qu'ils ont beaucoup d'imagination et de choses à dire », explique la réalisatrice.
C'est cette parole et cette créativité que la jeune femme montre au travers de 14 films. « Les habitants racontent leur quotidien, mais aussi leur perception de l'art, leurs centres d'intérêts...Ils se sont filmés entre eux. Il y a eu de vrais moments de sincérité », témoigne-t-elle.
« Rien n'a changé »
Cette année, Natacha est retournée dans la rue demander aux gens « qu'est-ce qui a changé en dix ans ». Réponse : « Rien ». Le projet de rénovation urbaine ? « Il n'y a pas de concertation, les gens ne se sentent pas concernés ».
Elle trouve ça « triste ».
Le sentiment d'abandon a progressé. Les jeunes n'ont plus aucun repère. Certains veulent être payés pour être filmés ou ne s'intéressent à la caméra que pour devenir célèbre, comme dans la « Star Ac ». Pour Natacha, c'est le signe que cette histoire-là touche un peu à sa fin.
Aujourd'hui, elle est la réalisatrice française qui a travaillé le plus longtemps dans une même cité. Elle dit que ça ne fait pas d'elle une « héroïne », ni un porte-drapeau des quartiers sensibles. Mais ça valait bien une rétrospective.
La rétrospective de Natacha Cyrulnik est présentée dans le cadre de la Biennale de la mémoire populaire. Projections (à 18 h) le 19 octobre au Centre Nelson-Mandela, le 20 à l'Espace Tisot, le 21 à l'association Gaspar (Le Germinal), le 22 au collège Wallon, le 23 au théâtre Apollinaire, le 24 à l'Espace Tisot.
Infos sur
www.cineberthe.com ou au 06 82 134 724.
source: M. V. - var matin