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Nicky
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Date du message : samedi 22 mai 2010 à 15h42


« Moi, Anna, rescapée du Vel d'hiv' »


Aux Sablettes, Anna Traube a exercé le métier de chirurgien-dentiste. Peu de clients connaissaient son passé. photo: Dominique Leriche
Entre 1967 et 1979 (année d'une retraite bien méritée), Anna Traube a exercé le métier de chirurgien-dentiste aux Sablettes. « J'ai même été la première à ouvrir un cabinet dentaire dans le quartier ! », se souvient avec entrain Anna, 88 ans aujourd'hui.

Un petit bout de femme tout aussi déterminée qu'avant. Une femme divorcée sans enfant, un caractère bien trempé, une grande détermination, venue finir sa carrière sur le bord de mer, après avoir été séduite par les lieux l'été précédent...

Des centaines, voire des milliers de Seynois ont défilé sur son fauteuil. Peu ont su. « À l'époque, on n'en parlait pas », confie Anna, avec émotion. Il a fallu en effet attendre que Jacques Chirac reconnaisse officiellement la responsabilité de la France pour que les langues se délient et que la mémoire se souvienne... Et demande pardon.

« Je savais que je m'évaderais »

Juillet 1942. La rafle du Vel d'hiv, portée cette année à l'écran par Roselyne Bosch. 13 000 juifs capturés et « parqués » dans des conditions inhumaines au Vélodrome d'hiver, en attendant d'être conduits au camp de Beaune-la-Rolande... À la mort. Le personnage d'Anna apparaît à l'écran sous les traits de la jeune actrice grecque Adèle Exarchopoulos.

À 20 ans, Anna venait d'achever sa première année d'école dentaire lorsque, le 16 juillet 1942, devant sa porte, deux officiers français sont venus la chercher avec sa famille : « Mon père avait déjà gagné la zone libre, mon frère vivait caché dans une chambre de bonne, un peu plus haut dans l'immeuble, se souvient Anna. Lorsqu'ils nous ont demandé de prendre des couvertures, de prévoir deux jours de vivres, j'ai réussi à faire échapper ma mère par une porte de service ». Les policiers ne chercheront pas à la rattraper et Anna est conduite dans une école du faubourg Saint-Martin. Dans la cour, deux bus. « Comme j'étais seule et en bonne santé, on m'a dit de monter dans celui de droite ». Mais un homme lui murmure de prendre celui de gauche... Le premier bus a rejoint Drancy. Anna gagne le Vélodrome d'hiver.

Elle passe cinq jours et cinq nuits dans l'antichambre des camps de la mort. Dans l'angoisse et la peur. Dans le bruit incessant des haut- parleurs, sous les projecteurs. Avec une seule obsession en tête : s'échapper. « En arrivant, j'avais noté les trois barrages de la milice » et la tente de la Croix-Rouge, d'où viendra son salut. « J'ai prétexté faire des hémorragies pour que le garde me laisse descendre des gradins où j'étais ». Elle rencontre un médecin, David Sheinbaum, (interprété par Jean Reno dans le film), mais croise surtout la route de Gaston Roques, le chef d'équipe des hommes des Eaux et forêts. Grâce à lui, elle obtient un laisser-passer pour franchir les trois barrages, qui menaient à la sortie. Elle croit même que le pire l'attend lorsque, à l'un des barrages, elle reconnaît un garde mobile qui l'avait draguée. Il sait qu'elle est juive... « Il m'a laissé passer », se souvient-elle, le regard embué par l'émotion. Elle ne court pas. Elle marche. Tête haute dans les rues de Paris pour rejoindre la cache trouvée par Gaston Roques. Marcher, ne pas avoir l'air de chercher son chemin « dans un quartier que je ne connaissais pas ». Devant elle, un oiseau l'accompagne. Un détail ? C'est le symbole de la liberté.

Il lui faut attendre quinze jours encore, avant de retrouver sa mère et son frère et, sous l'identité d'Yvette Baudouin, gagner en train Limoges, où son père s'était installé... Et comme pour, une dernière fois, narguer encore le sort qui poursuivait les juifs, c'est dans un wagon rempli de soldats allemands qu'elle choisit de s'asseoir pour faire le voyage depuis Paris. Ce n'est qu'à la fin de la guerre qu'Anna reprend ses études dentaires. Un mariage, suivi d'un divorce, des rencontres amoureuses et une carrière professionnelle rare pour une femme à l'époque, la conduiront à l'été 66 sur les rives de la grande bleue aux Sablettes. Malgré une carrière bien remplie (voir encadré ci-dessus), son véritable exploit, c'est d'avoir échappé au Vel d'hiv'. La preuve de sa détermination, de son caractère... Celui d'une forte femme d'apparence si frêle, qui se souvient d'un épisode de sa vie qui, longtemps, l'a hanté. Aux lycéens qu'elle rencontre aujourd'hui - son témoignage a servi à l'élaboration du scénario du film - Anna Traube raconte le Vel d'hiv' (1). Et martèle qu'en « des périodes extraordinaires de l'histoire, il ne faut pas obéir aux ordres, mais à sa conscience... » Karine Michel

1. Anna Traube a écrit un livre : « Évadée du Vel d'hiv' », il y a trois ans.
source: var matin

...cordialement...Nicky...