Paysans boulangers - le pain des champs fait de la résistance ...
Du pain avant la cuisson, à Montmerrei, le 06/03/2014
(photo: Charly Triballeau/AFP)
De la moisson à la cuisson, ils ne font qu'un. Agriculteurs en quête d'avenir ou néo-ruraux en reconversion, paysans et boulangers, ces nouveaux cultivateurs artisans contribuent à l'animation des campagnes et à la renaissance de semences oubliées
Quand il embrasse du regard ses blés ployés par le vent et les vaches paisibles, en contrebas de sa ferme, à Cornus, au sud du Larzac, Marcel Fabreguettes se sent comme le dernier des Mohicans. "On va devenir un zoo ici, une réserve de paysans naturels", prédit-il: ils étaient naguère une vingtaine d'éleveurs laitiers sur le plateau, ils ne sont plus que deux.
Marcel s'est formé à la boulange pour anticiper la fin des quotas laitiers, en 2015, et le déferlement redouté de "fermes usines" qui risqueront de noyer sa production, bio et artisanale. Le pain c'est sa résistance. Une semi-reconversion qui lui permet de continuer d'exploiter ses céréales et des fourrages pour la trentaine de frisonnes qu'il conserve. C'est Muriel, son épouse, qui en a pris l'initiative.
"On voulait maîtriser toute la chaîne, de la production à la vente", explique-t-elle. Souriante et alerte, elle se lance la première, suit une formation, accompagnée par deux boulangers. Apprend à faire son levain. "Si la pâte lève trop, le pain est dur comme une galette. Pareil s'il ne lève pas assez".
Marcel pétrit et chauffe le four à bois en deux temps pour atteindre la bonne température. "Un boulanger en ville fait son pain en deux heures, moi c'est 10 à 14 heures". A la Borie les journées commencent à 4h00 les jours de cuisson.
A Dormelles, en Seine-et-Marne, Sabrina Derosin a pris la même option pour contribuer à l'exploitation de son époux, Gilles, installé depuis 30 ans sur les terres familiales: citadine diplômée des Beaux-Arts, elle s'est lancée dans le pain pour "valoriser les céréales" maison: "Au bout de 7 ans je sors enfin un pain au levain qui me convient!" A ses clients aussi. Gilles s'est improvisé meunier à la meule de pierre et transforme ainsi 10 à 15% de sa récolte. "Avant je livrais mon blé à la coopérative et on n'en parlait plus". Aujourd'hui, il livre aussi le pain de Sabrina aux Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap) proches et jusqu'à Paris.
- Choix de vie -
Les Amap constituent souvent le deuxième réseau commercial du pain paysan avec la vente à la ferme, parce qu'elles en épousent l'idéologie et les convictions. Mais paysan boulanger c'est d'abord, pour ceux rencontrés, un choix de vie à la campagne.
C'est ce qui a poussé Thierry Hermeline, dans le Perche, boulanger bio initialement, à la reconversion après avoir exercé son métier aux quatre coins de France à la manière des compagnons. Avec Cécile ils avaient ce projet d'être leurs propres patrons et d'élever leurs enfants en pleine terre. C'est elle qui l'a poussé vers un cycle de formation à l'agriculture biologique. "Il fallait retourner à l'école, il avait 39 ans", raconte-t-elle, toujours admirative.
Après sa formation et un stage à La Perrière (Orne), c'est là que le couple acquiert une parcelle de ci, de là. Jusqu'aux 20 ha d'aujourd'hui et la quasi-dévotion de leur clientèle: dans cette campagne à Parisiens, à 2 heures de la capitale, on se lève tôt le dimanche (seul jour de vente avec le jeudi) pour le pain de La Surdière, nom de la propriété.
Pour Thierry, l'expérience fut parfois âpre. La pluie à l'heure des moissons l'a déjà privé de récolte. Pourtant, à 52 ans, même s'il "travaille davantage qu'en ville", il n'a jamais regretté sa reconversion et se passionne pour la vie dans ses champs.
Il a rejoint depuis cinq ans le réseau Semences Paysannes et s'y fournit en variétés bio et anciennes. Cette année, il cultive cinq blés différents sur une même parcelle pour obtenir une farine unique. "Le Rouge de Bordeaux dépasse les autres de 50 cm, ils ne mûrissent pas tous en même temps. Mais la diversité permet une meilleure résistance aux maladies".
La plupart travaillent aussi l'alternative au blé - petit épeautre, sarrasin - pour contourner les allergies au gluten qui se développent avec les blés riches en protéines, plus facilement panifiables, préférés en boulangerie conventionnelle.
Quand il est passé aux cultures sans labour, Thierry a senti la suspicion de ses voisins. Mais l'hostilité, quand elle existe, s'exprime plutôt du côté des meuniers et des boulangers. "J'ai tout eu" avoue-t-il. Contrôles, tracas administratifs. "Mais on a fait reconnaître que comme le fromager avec son lait, on transforme notre produit".
... @ suivre ...