... Suite ... Risques accrus de lymphome
En France, en dépit de l’absence de cultures transgéniques ad hoc, c’est le pesticide de synthèse le plus utilisé. Il s’en est épandu plus de 8 000 tonnes en 2011, loin devant les quelque 2 700 tonnes de la deuxième substance la plus populaire – le mancozèbe (un fongicide). Selon le rapport rendu en 2010 par l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), « le glyphosate est [en France] le principal responsable du déclassement de la qualité des eaux ». La substance ne résiste cependant pas au chlore et est largement absente de l’eau potabilisée.
Ce n’est d’ailleurs pas sur la population générale que les études examinées par le CIRC décèlent un risque accru de cancer, mais sur les jardiniers et les agriculteurs. Selon l’agence, « des études cas-témoins d’exposition professionnelle [au glyphosate] conduites en Suède, aux Etats-Unis et au Canada ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien [un cancer du sang] ». Quant aux expériences sur les animaux, certaines ont montré que le désherbant phare de Monsanto induisait des dommages chromosomiques, un risque augmenté de cancer de la peau, de cancer du tubule rénal, d’adénomes de cellules pancréatiques. Au total, cependant, le CIRC estime que l’ensemble de la littérature scientifique examinée ne permet pas de conclure avec une totale certitude à la cancérogénicité du glyphosate.
Dans un communiqué publié lundi 23 mars, Monsanto a protesté, en termes crus, contre l’avis rendu par le CIRC. La société basée à Creve Coeur (Missouri) fustige la « science poubelle » (junk science, dans le texte) de l’agence intergouvernementale, dont elle rejette en bloc les conclusions. Dans une lettre datée du 20 mars et dont l’agence Bloomberg a obtenu copie, Monsanto intime même à Margaret Chan, la directrice générale de l’OMS, de faire « rectifier » l’opinion du CIRC.
Celle-ci a pourtant été établie selon un processus immuable depuis quarante ans. Une vingtaine de scientifiques de plusieurs disciplines (toxicologie, épidémiologie…) sont réunis par l’agence, sélectionnés sur leurs compétences et l’absence stricte de conflits d’intérêts avec l’industrie. Un projet d’avis, fondé sur l’ensemble de la littérature scientifique publiée sur le sujet examiné, est discuté par les chercheurs, plusieurs jours durant, en présence d’observateurs de l’industrie, de représentants d’agences de sécurité sanitaire, etc. Lorsque les membres du groupe d’experts parviennent à un consensus, l’avis est adopté. Les opinions du CIRC bénéficient du plus haut niveau de reconnaissance dans la communauté scientifique, mais sont souvent attaquées par les secteurs industriels contrariés.
« Identification des risques »
Purement informatifs, ces avis n’ont pas valeur réglementaire : ils ne peuvent conduire en eux-mêmes à l’interdiction ou à la régulation d’une substance. « Nous ne faisons pas de l’évaluation des risques mais de l’identification des risques, rappelle-t-on au CIRC. Notre avis ne dit pas si la population générale court un risque du fait de telle ou telle substance, cela c’est le travail des agences de sécurité sanitaire. »
Le glyphosate est précisément en cours de réévaluation au niveau européen. Interrogée, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) précise que c’est son homologue allemand, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), qui a été chargé de le réévaluer au nom de l’Europe – la procédure européenne veut en effet qu’un Etat-rapporteur soit désigné pour conduire l’évaluation des risques des pesticides. Les résultats de cette expertise, qui doit repasser sous les fourches Caudines de l’EFSA avant d’être formellement adoptée, sont attendus dans les prochaines semaines.
Les experts allemands et européens ne pourront pas ignorer l’avis des experts du CIRC, pas plus que d’autres travaux récents sur des risques autres que le cancer. Mais l’interdiction du glyphosate, réclamée par plusieurs ONG, n’est pas pour demain. Un vieux routier de l’évaluation des risques en veut pour présage la composition « particulièrement intéressante » du groupe d’experts « Pesticides » de l’agence allemande : le tiers des membres du comité sont directement salariés… par des géants de l’agrochimie ou des biotechnologies !
source: Stéphane Foucart - lemonde.fr